
NEXT STOP BORDERLAND – PROCHAIN ARRET : LE PAYS DE LA LIMITE ( DEUXIÈME PARTIE)
La lettre de Sylvain : Février 2017
Le mois dernier, nous étions avec les « habitants de la limite », les personnalités Borderland, et je vous racontais que les expériences du psychanalyste Jérôme Bernstein, dans la Nation Navajo avaient radicalement changé sa vie.
Un soir, donc, trois Hataali, des medecine men de la tradition Navajo, attendaient Bernstein dans son bureau, et lui dirent " Nous vous avons attendu. Nous avons écouté la manière dont vous nous écoutez. Nous voudrions que vous reveniez travailler avec nous".
C'est ce que fit Jérôme Bernstein, au cours des cinq années suivantes.
Après quelques années, et de très nombreuses invitations à des cérémonies, Bernstein commença à avoir une succession de rêves étranges, des rêves au cours desquels des guérisseurs Hopi et Navajos qu'il lui semblait avoir déjà rencontré lui expliquaient leurs méthodes de guérison et d'harmonisation avec les éléments.
A ce stade Bernstein n'était plus très sûr de savoir où se trouvaient la réalité, sa vie professionnelle, le rêve, ou sa vie personnelle. Il décida de confier ses expériences à un psychiatre de Washington DC, et entrepris de suivre une psychanalyse Jungienne, sans autres résultats que d'amplifier encore la succession de synchronicités et de hasards incroyables que sa vie était devenue.
Une après-midi, alors qu'il attendait une réunion sur une des mesa des Hopis, deux aigles vinrent autour de lui, descendant en de grands cercles, tournant autour de sa tête jusqu'à la frôler de leurs ailes immenses.
Ce jour-là, Bernstein réalisa que chaque être humain est porteur d'un mystère, et que ce mystère n'est pas explicable par la rationalité. Il prit conscience que tout, dans sa vie, l'avait mené à ce moment précis, à cette rencontre avec deux aigles en un lieu sacré, au bord d'une haute falaise qui était la limite d'un univers différent de tout ce qu'il avait connu jusque-là. Il sut que cet endroit étrange était devenu sa maison. Le petit homme de la communauté israélite de New York devint ensuite un brillant écrivain, un scientifique reconnu, et un excellent psychanalyste. Il créa le concept de "personnalité borderland", les habitants de la limite, un concept qui aida d'innombrables femmes et hommes à retrouver leur identité authentique. Il abandonna son travail d'audit administratif et devint lui-même psychanalyste dans la mouvance du transpersonnel, puis déménagea pour s'installer à Santa Fe, au Nouveau Mexique, où il exerce encore à présent. Le docteur Bernstein eut l'honnêteté d'observer réellement ce qui se passait chez ses patients "borderland". Il démontra qu'en réalité, ces patients n'étaient pas "fous", mais que leur conscience était en évolution, en transition.
Les borderland suivent une voie qui s'écarte de beaucoup des sentiers de la normalité. Leur sensibilité extrême leur fait vivre des expériences difficiles à communiquer. Des expériences intérieures parfois très loin de ce qui est socialement acceptable. Les personnalités borderland pratiquent la télépathie au quotidien et communiquent intuitivement avec les animaux, apportant à un monde incrédule leur témoignage du message des chevaux, des dauphins ou des éléphants.
Une des premières patientes du Dr Bernstein, Hannah, était intimement connectée avec les vaches que l'on menait à l'abattoir. Elle ressentait tous les détails de leur état émotionnel, et leur souffrance la rendait quasiment folle. Hannah enchaînait les séjours en clinique psychiatrique. Les différents psychiatres qu'elle avait consultés avaient, l'un après l'autre, ajouté des molécules chimiques de plus en plus fortes à son traitement médical.
Mais, pendant sa thérapie, au fur et à mesure que Hannah devenait plus apte à exprimer ses sentiments, Bernstein réalisa que sa vision du monde et ses perceptions intuitives n’étaient pas si folles. Ce qu’Hannah ressentait, ce qu’elle exprimait, coïncidait exactement avec les enseignements des anciens Hopi avec qui Bernstein avait étudié pendant qu’il terminait sa formation psychanalytique.
J'ai moi-même souvent rencontré des personnalités borderland pendant les stages de thérapie par les chevaux que j'organise depuis maintenant presque 10 ans. Leur expérience intérieure et leur perception de la réalité n'est pas du tout habituelle. Beaucoup ont la sensation plus ou moins consciente du sol qui se trouve sous leurs pieds et qui soutient leur poids. Quand ils sont dans la nature, ils sentent la terre, les fleuves souterrains et les masses rocheuses qui soutiennent le paysage. Quand ils sont en ville, ils sentent le béton, le macadam, et certains sont très gênés par les ponts, les constructions, et, chose qui semble absurde aux personnes rationnelles, ils sont extrêmement perturbés par le fait qu'on donne un nom, et donc une personnalité, aux ponts et aux rues des villes. Aussi, la plupart des borderland, moi-même y compris, ne peuvent pas supporter d'habiter en ville ou d'y rester trop de temps.
Beaucoup de personnalités borderland (et moi-même y compris), sont sensibles aux matières qui se trouvent dans une maison. Certains disent que, en touchant un bouton de porte, ils sont connectés avec ceux qui ont ouvert cette même porte.
J'ai connu des personnes qui sont très sensibles au souffle. Ces personnes sont conscientes que l'air que nous inspirons et que nous rejetons est ensuite respiré par d'autres êtres vivants, et que ces souffles circulent sur toute la planète en un grand cercle. Certains Borderland ont conscience du fait que, parce que notre souffle est chargé d'humidité, nous sommes intimement liés aux nuages, à la pluie, aux lacs et aux cours d'eau. Ces habitants de la limite ont retrouvé, sans le savoir, un des enseignements les plus sacrés des amérindiens Hopis. J'ai observé que, souvent, les chevaux s'approchent spontanément de ces personnes, et soufflent dans leurs narines, comme pour leur signifier silencieusement leur acquiescement.
Les expériences intérieures des personnalités borderland sont tellement éloignées de ce qui est habituel que bien souvent, ils ont honte de les partager, et ils développent donc, pour se protéger, une deuxième personnalité, une personnalité de façade qui leur permet tout juste de survivre dans les illusions, les mensonges et les hypocrisies de la société actuelle. Franchement, cela ne facilite pas leurs rapports en société, dans le monde du travail, lors des événements sociaux, dans leur famille, sans parler des polarités entre hommes et femmes dans le couple.
Les borderland vivent continuellement à l'interface de deux mondes. Je me souviens, lorsque j'étais adolescent, de mon attirance pour les friches industrielles, les endroits abandonnés dans les villes les anciens entrepôts qui tombent en ruine et l'aura particulière de mystère qui, pour moi, émanait de ces endroits. C'est que ces lieux sont, au cœur des villes, les limites d'un monde différent.
Les Borderland ont le sens des synchronicités. Ils ont un sens profond de ce qui est numineux, de l'aura de mystère qui entoure certains êtres où certains lieux. Le sens de leur soi, la conscience de leur identité intime est profondément liée au bien-être de la terre. Ils n'ont pas été traumatisés par un individu, mais leur blessure a été infligée par toute une culture d'agression et de non-respect envers la Terre, les animaux, les végétaux et la nature. Leur connexion psychique avec la nature est indissociable de leur santé physique et spirituelle.
Comme le souligne Linda Kohanov, dans le monde moderne, les « personnalités Borderland » se sentent obligées de choisir entre l'humanité et la nature, un choix pour lequel leur propre culture ne les prépare tout simplement pas. En conséquence, ces personnes se sentent souvent beaucoup mieux en compagnie des animaux qu’entourées d’êtres humains. Parce qu'elles sont empathiques, voire télépathiques, elles ont tendance à se sentir mal à l’aise dans les situations publiques. Comme les chevaux, les « personnalités Borderland » ont un don prononcé pour détecter les émotions désagréables, parfois agressives, dans ces visages souriants, et cela les conduit à ressentir une profonde méfiance envers les membres de leur propre espèce. Ces personnes se demandent comment elles pourraient se plier aux règles d'un environnement urbain et mécanisé. Elles se sentent hors du temps, hors de propos, prises au piège, décalées, dans un monde qui n'a aucun sens pour elles, dans une culture qui leur semble absurde et dangereuse. Les « personnalités Borderland » ont également tendance à avoir un sentiment puissant, même si souvent assez flou, d’avoir une mission à accomplir, même si elles ne savent pas exactement laquelle. Certaines de ces personnes errent sans but d'un emploi à l’autre ou d’une formation universitaire à une autre, et pourtant aucune des carrières qui s’offrent à elles ni aucun des diplômes qu’elles obtiennent ne semblent leur convenir. D'autres endurent des années de servitude dans un même emploi parce qu'elles n’arrivent tout simplement pas à envisager ce qu’elles aimeraient faire. A la suite de ces difficultés, beaucoup souffrent d'épisodes de dépression sévère.
Leur désir intime, et leur pouvoir inné, c'est de réaliser une synthèse entre la conscience humaine et la conscience animale.
Par le biais des traumatismes et du refoulement, notre savoir intuitif individuel et collectif a été caché, enfouie profondément, depuis bien trop longtemps. Il est temps désormais d'exploiter ces profondeurs, de découvrir la grotte de la gardienne des mystères, de rencontrer la déesse à tête de cheval. Ce sont les personnalités borderland qui peuvent nous aider à retisser un partenariat co-créatif avec l’intelligence de la nature et avec toute la sagesse intuitive, depuis si longtemps rejetée par la culture dominante.
Lorsque vous retrouvez votre connexion aux mystères donc on ne peut pas prononcer le nom, lorsque vous êtes pleinement initié, volontairement ou involontairement, par les sagesses anciennes vous rayonnez d’une puissance que les gens qui vous entourent ressentent sans pouvoir l’expliquer tout à fait. Comme la déesse à tête de jument, vous n’avez pas à prononcer un seul mot ; votre seule présence devient un catalyseur du changement et de la transformation.
Que cette transformation devienne une réalité dans notre expérience de vie à tous, c'est mon souhait pour cette nouvelle année 2017 !
Toutes mes amitiés

Sylvain
Droits photo et de reproduction :
Extraits de :
Living in the Borderland: The Evolution of Consciousness and the Challenge of Healing Trauma par Jerome S. Bernstein Way of the Horse: Equine Archetypes for Self-Discovery — A Book of Exploration and 40 Cards par Linda Kohanov, et Kim McElroy
Traductions françaises par Cécile Gilbert Kawano et Sylvain Gilllier-Imbs.
Images © Creative Common, Linda Kohanov et Kim McElroy. Keeper of the Mtstery © Kim McElroy / https://spiritofhorse.com/